Chez moi, il y a des équations griffonnées sur tous les calepins qui trainent, toutes les feuilles volantes. Si on m’avait dit, il y a encore quelques années, qu’un jour je deviendrai artiste, je ne l’aurais pas cru. Et puis la vie est faite de surprises…
Voilà 5 ans que je réalise des œuvres d’arts numériques en utilisant uniquement des équations mathématiques. Pour ce faire, j’ai développé un code informatique dans lequel je programme des équations que je souhaite résoudre (environ 10 millions de résultats dans une image).
Je viens ensuite donner une « matérialité » aux mathématiques en attribuant une couleur à chaque résultat mathématique. Les images numériques les plus abouties que je réalise sont ensuite imprimées directement sur plexiglas ou Dibond pour former un tableau.
Mon parti pris est celui du résultat mathématique brut. Les œuvres que je propose n’ont pas été retouchées, ce que vous pouvez y voir est l’expression directe de l’essence des mathématiques.
Ce que j’aime dans mon processus créatif c’est la surprise. Je ne sais jamais à l’avance ce que je vais obtenir. J’adore jouer avec les contrastes et les couleurs, un même motif peut tout aussi bien suggérer la mélancolie que la joie suivant les couleurs utilisées.
Les mathématiques ont tant de choses à vous dire, à vous de les percevoir !
Comment passe t-on des maths à une image ?
Le coloriage magique
Pour répondre à cette question je vous propose un voyage dans le temps pour vous ramener à l’école primaire lorsque vous faisiez des coloriages magiques. Munis de feutres ou de crayons de couleurs, votre mission était de colorier les cases du dessin à l’aide des couleurs proposées par la palette de couleurs. Ainsi à chaque nombre du dessin était associée une couleur.
Sur l’image du perroquet ci-contre, toutes les cases avec la valeur 1 sont à colorier en jaune tandis que celles avec la valeur 6 sont à remplir avec du bleu.
Cela va probablement vous étonner mais ma démarche artistique n’est pas (beaucoup) plus compliquée qu’un coloriage magique !
Cela vous rappelle des souvenirs ?
Etapes de mon processus de création
1) Partir d’une image numérique vierge
2) Placer un quadrillage composé de cellules carrées
Le quadrillage n’est pas explicitement dessiné sur l’image, c’est juste une manière de subdiviser l’image en petits éléments carrés.
3) Résoudre une équation mathématique dans chaque cellule
On peut par exemple prendre l’équation suivante :
4) Choisir une palette de couleurs
5) Coloriser chaque résultat mathématique avec cette palette de couleurs (quadrillage avec peu de points)
6) Coloriser chaque résultat mathématique avec cette palette de couleurs (quadrillage avec beaucoup de points)
Présentation de ma démarche en vidéo
Présentation de 4 familles d’équations
Attracteurs
Qu’est-ce que c’est ?
On doit la notion d’attracteur au météorologiste Edward Lorenz. En 1963, il étudiait le mouvement de l’air dans l’atmosphère à l’aide d’un système d’équations simplifiées à trois paramètres. Assisté d’un modeste calculateur, Lorenz entreprit de modéliser ce système d’équations à l’aide de la machine.
Il mit en évidence que pour certains paramètres, la solution numérique demeurait prisonnière d’une zone confinée en décrivant des trajectoires complexes; il venait de découvrir le concept d’attracteur !
Comment ça marche ?
Prenez un point de l’espace et une équation. Appliquez cette équation à votre point, celui-ci va alors se déplacer vers une nouvelle position. Appliquez de nouveau l’équation à la nouvelle position du point, il va alors de nouveau se déplacer. Répétez cette opération plusieurs milliers de fois. Si votre dernier point n’est pas trop éloigné de sa position initiale alors vous avez peut-être trouvé un attracteur.
De là, il suffit de coloriser les zones de l’espace qui ont été visitées par votre point lors de son parcours (ci-contre, on colorise en blanc les zones où le point n’est jamais allé et en noir celles où sa fréquentation est la plus élevée).
Fractales de Lyapunov
Qu’est-ce que c’est ?
Les fractales de Lyapunov, issues des travaux du mathématicien Alexandre Lyapunov et du physicien Mario Markus, sont une représentation visuelle du chaos et de la stabilité au sein d’un système d’équations.
Considérons l’image ci-contre. Les couleurs froides (bleu clair, bleu foncé) désignent des zones chaotiques. On peut y observer des tourbillons, des filaments très minces qui s’entrelacent. Par opposition les couleurs chaudes (blanc, orange, jaune) désignent des zones de stabilité où la transition entre les couleurs se fait progressivement de façon continue.
Comment ça marche ?
Considérons une suite de 0 et de 1 que nous appelons “clé de chiffrement”. Chaque pixel de l’image est défini par un couple qui correspond à sa position dans l’image. A chaque pixel de l’image, on associe l’équation itérative :
où correspond à l’élément de la clé de chiffrement utilisée.
Ainsi à chaque itération lorsque la variable est mise à jour, l’algorithme se réfère à la clé de chiffrement pour savoir s’il applique la première équation (i.e ) ou la seconde équation (i.e ).
Cette alternance entre les deux équations (dont la fréquence dépend de la clé) va directement influencer le motif fractal obtenu (et donc le rendu artistique de l’image).
La seconde et dernière étape afin de générer la fractale consiste à calculer l’exposant de Lyapunov :
Finalement, à l’aide d’un logiciel de visualisation on représente la valeur de à chaque pixel de l’image, permettant ainsi de mettre en lumière les zones chaotiques et stables de l’équation modélisée.
Tourbillons
Qu’est-ce que c’est ?
Un tourbillon désigne la région d’un fluide dans laquelle l’écoulement est principalement en mouvement de rotation autour d’un axe. Ce phénomène est notamment observable lorsque votre baignoire se vide après un bain mais aussi lorsque vous prenez l’avion (image ci-contre).
En 1820, les physiciens Jean-Baptiste Biot et Félix Savart ont introduit une équation permettant de décrire le mouvement des tourbillons.
Comment ça marche ?
On considère un nombre fini de tourbillons, représentés par des points, ayant chacun une intensité pouvant être positive ou négative qui induit un sens de rotation horaire ou anti-horaire. La loi de Biot-Savart permet de calculer la vitesse en tout point de l’image à partir de la position et de l’intensité des tourbillons :
A chaque fois que l’équation est appliquée, le point considéré se déplace. On répète ces opérations sur tous les points de l’image jusqu’à obtenir un résultat esthétiquement intéressant.
Fractales de Mandelbrot
Qu’est-ce que c’est ?
En 1975, le mathématicien Benoît Mandelbrot fait la découverte d’un objet mathématique qui héritera de son nom; l’ensemble de Mandelbrot. Cet objet visuellement complexe présente une structure fractale, c’est-à-dire qu’il est invariant par changement d’échelle (comme les poupées russes par exemple).
Comment ça marche ?
Pour chaque point de l’espace c, on “regarde” s’il reste prisonnier dans un cercle de rayon 2 lorsqu’on lui applique itérativement l’équation :
On répète N fois l’équation ci-dessus. A chaque fois que l’équation est appliquée, le point se déplace. Si le point quitte le cercle, on note la valeur de l’itération correspondante. S’il ne quitte pas le cercle après N itérations, on lui affecte la valeur N.
Finalement, avec un logiciel de visualisation, on représente la valeur de l’itération à partir de laquelle chaque pixel a quitté le cercle.
Sur l’image ci-contre, l’ensemble de Mandelbrot est colorisé. Les pixels bleus correspondent à des zones pour lesquelles les points ont très rapidement quitté le cercle. A l’inverse, les pixels noirs désignent des zones où les points ne “semblent pas” quitter le cercle.
Expositions
2023 – Exposition à la Quincaille Rit (Cordemais)
2023 – Exposition à la Bibliothèque Universitaire de la Fac de Sciences (Nantes)
2022 – Exposition pendant l’évènement “Le Nez en l’Air” (La Haie Fouassière)
2022 – Exposition lors du salon “Impressions d’Arts” (Sautron)
Produits dérivés réalisés à partir de mes oeuvres
Les bijoux
Mon aventure artistique a débuté en 2018 lorsque ma compagne, Céline, était à la recherche d’images libres de droits afin de les incorporer dans ses bijoux. Me remémorant un TP sur les fractales de Mandelbrot que j’avais fais pendant mon Master, je me mis au boulot afin de produire des premières images numériques.
Une fois les images imprimées, Céline sélectionna et en découpa des morceaux qu’elle colla sur un support métallique. Une demi-sphère, appelée cabochon, fut apposée sur l’image en guise de finition.
Les premiers bijoux mathématiques étaient nés. On était ravis et le public aussi !
Les montres
En 2021 je me suis lancé le défi d’incorporer moi-même mes oeuvres mathématiques dans des montres. N’étant pas du tout (mais alors pas du tout) manuel, c’était un gros challenge 😅
J’ai investi dans de l’outillage d’horloger et j’ai fais l’acquisition d’une dizaine de montres chinoises que j’ai démonté (retrait du cadran et des aiguilles) afin de me faire la main. Voilà pour la partie facile. Le plus dur commence lorsqu’il s’agit d’apposer une impression papier d’une oeuvre dans la dite montre.
Première difficulté, l’ajout d’une feuille de papier par dessus le cadran crée une sur-épaisseur sur laquelle les aiguilles de la montre viennent frotter. Seconde difficulté, les indicateurs de minutes/heures doivent être imprimés sur l’oeuvre (sans quoi on n’a plus de repère précis sur l’heure qu’il est une fois la feuille collée sur le cadran).
Ces deux challenges sont fastidieux à résoudre, au prix de plusieurs montages/démontages de la montre pour tout ajuster correctement.
Je me suis ensuite lancé un ultime challenge : assembler moi-même une montre automatique et y incorporer l’une de mes oeuvres.
J’ai acheté un verre saphir, un boîtier en acier inoxydable, un mouvement automatique Miyota, des aiguilles et un cadran.
J’ai bûché une dizaine d’heures dessus mais ça en valait la peine.
Voilà près de deux ans qu’elle est terminée et elle fonctionne toujours 🙂
Les vêtements
En 2022 je me suis intéressé à l’impression sur textile. Je souhaitais pouvoir faire imprimer mes oeuvres sur des robes et des t-shirts qui vieillissent bien dans le temps.
J’ai donc naturellement évincé la technique du flocage pour me tourner vers une technique que je ne connaissais pas jusqu’alors : la sublimation.
La sublimation est une technique d’impression qui permet d’imprimer un motif directement dans les fibres. Ainsi si l’on déforme le vêtement en tirant dessus, le motif se déforme lui aussi. Les textiles sont en général composés de 90% de coton et 10% d’élasthanne.
J’ai importé depuis la Chine une dizaine de vêtements sur lesquels mes oeuvres ont été imprimées grâce à cette technique.
Suite à l’engouement du public, je me suis mis à la recherche d’un imprimeur en local en France afin de réduire l’empreinte carbone d’une tel produit.
Malheureusement les coûts de production se sont avérés trop élevés pour qu’un tel produit puisse être accessible et rentable.
Cela reste néanmoins une chouette expérience 🙂
La rencontre entre l’art numérique et la musique
En 2021 j’ai réalisé un rêve qui me trottait dans la tête depuis une dizaine d’années : avoir un Handpan et apprendre à en jouer.
Le Handpan est un instrument percussif et mélodique en forme de soucoupe volante dont les sonorités ont des vertus apaisantes et relaxantes.
Inspiré du steel drum dont il est l’héritier, le Handpan est un instrument qui n’existe que depuis une vingtaine d’années.
Mes premiers frissons au handpan je les ai eu avec Hyrule, un instrument conçu par Flowra Sound 🙂
J’ai rapidement eu l’envie de mêler la musique avec mes créations numériques car j’ai la sensation que ces deux univers sont en résonances.
La vidéo ci-dessous a été tournée lors d’une performance que j’ai réalisée pendant les JDLN (Journées Des Libertés Numériques) à la Bibliothèque Universitaire de la Fac de Sciences de Nantes.